MAÎTRE À NOUVEAU
Maison forte passée entre les mains de Voltaire et du collectionneur Alfred Baur, le château de Tournay a été classé monument historique en 1958. Un lieu à l'histoire singulière.
Lorsqu’il en fait l’acquisition en 2009, le nouveau propriétaire trouve le château de Tournay dans un drôle d’état, à la fois figé dans sa réalité centenaire et comme arrêté en pleine phase de transformation. Cette impression paradoxale mais pas tout à fait fausse s’explique par l’histoire singulière du lieu. Aujourd’hui blottie sur les hauts du village de Pregny et suffisamment en retrait des voies de circulation pour ne pas subir les regards indiscrets, la bâtisse a été conçue à la fin du Moyen Âge comme maison forte. Rapidement, l’affectation militaire défensive fait place à un usage d’habitation. En quelques générations, on comble les fossés et rase les murs d’enceinte.
Un monument des Lumières
Au siècle des Lumières, Voltaire achète le domaine sous forme de bail à vie, avec le titre comtal qui s’y rattache. Les travaux d’embellissement entrepris témoignent de l’affection du philosophe pour le site. Mais fâché avec les autorités genevoises, l’incorrigible Voltaire quitte les lieux pour s’installer à Ferney en 1760. Pendant un siècle et demi, le château de Tournay va passer de mains en mains, voyant son somptueux terrain se morceler au gré des ventes. En 1915, il est racheté par Alfred Baur qui, après avoir fait fortune à Ceylan, s’installe au bout du lac et poursuit son activité de collectionneur d’art asiatique, mais sans jamais véritablement habiter les lieux. Classé monument historique en 1958, l’édifice subit tout au long du 20e siècle une importante série de transformations, démontant les cloisons, créant de nouvelles circulations, modifiant les façades et inventant tout un décor à la fois médiéval et bourgeois dont la principale caractéristique sera de rester inachevée.
Une histoire à terminer
Ce constat impose une compréhension fine des lieux. Des recherches en archives, un relevé minutieux et divers sondages permettent de distinguer la nature des interventions et révèlent la valeur historique des espaces. Un projet cohérent peut enfin être envisagé afin de répondre aux besoins des nouveaux acquéreurs. Le parti retenu s’inscrit en continuité avec l’histoire du château : terminer les travaux inaboutis et reconstituer la double identité de forteresse et de résidence noble acquise au fil du temps.
À l’intérieur, l’ensemble des pièces se voit assaini, retrouvant dans ce curieux plan en « L » évasé l’orthogonalité classique chère au 18e siècle. Grâce au savoir-faire d’entreprises spécialisées, la délicate reconstitution des boiseries ou parquets décorés s’associent au travail pointu de restauration d'une substance plusieurs fois centenaire encore présente notamment dans les portes à panneaux, la charpente assemblée ou les fenêtres à guillotine. Des centaines de mètres carrés de toiture et d’enduits sont rénovés avec des matériaux traditionnels et des techniques de mises en œuvre éprouvées. Pour favoriser l’intégration esthétique, les nouvelles lucarnes sont dessinées selon le modèle ancien propre à ce type de bâtiments. En revanche, à l’image de l’ascenseur intérieur vitré, les éléments contemporains affirment un langage sans compromis.
Entre passé et nouvelle authenticité
Entièrement modernisée, la technique apporte le confort attendu pour un lieu d’habitation du 21e siècle. Sans dénaturer la qualité des espaces ou l’image générale, l’isolation intérieure des murs trouve par exemple sa place sous un doublage en terre cuite, les fenêtres neuves adoptent quant à elles un vocabulaire traditionnel avec partitions, la ventilation double flux et les pompes à chaleur savent rester invisibles. Il en va de même pour les interventions ponctuelles de renforts, assurant la statique du bâtiment parfois mise à mal par les grandes portées existantes entre les murs anciens.
Calé sur les bases d’un solide travail réalisé en amont, le chantier s’est déroulé en dix-huit mois. Arraché à sa léthargie, restauré en profondeur mais sans excès, le château de Tournay se réapproprie son passé et assume sa nouvelle authenticité.