VÉNÉRATION

CATHÉDRALE SAINT-PIERRE, GENÈVE

Texte et dessin exclusifs de 

Albertine & Germano Zullo

Bon, il est de toute façon nécessaire d’être bien quelque part. Quelque part ? Peut-être la combinaison d’un esprit, d’un corps, d’un clan et d’un foyer. L’agencement d’un tel lieu n’est pas toujours facile. Loin s’en faut. Le destin s’arroge la plus grande part, l’instinct patauge et le libre arbitre se montre aussi fragile qu’un flocon de neige. Le narcissisme, par ailleurs, n’a jamais été une vertu. Il tend, d’une manière tout à fait agaçante, à fabriquer quantité de petites divinités aussi creuses qu’incohérentes. On peut certes refaçonner les paysages, mais sachons également contempler la beauté des ruines, quand la nature se libère.

La cathédrale Saint-Pierre est un lieu abouti. Une combinaison certifiée par l’usage et le temps. Elle n’a peut-être pas la réputation de la grotte de Lascaux, des constructions de Göbekli Tepe ou des pyramides d’Égypte, mais la première intervention humaine sur le site, un tumulus préhistorique, remonte tout de même à mille cent cinquante ans avant notre ère. Une zone de toute évidence vouée au sacré, du pouvoir transcendé au culte chrétien.

Genève fut une capitale burgonde et un important phare de la Réforme. Elle n’a jamais été le centre du monde, bien que certains la voudraient chantre de la Romandie. On reconnaîtrait ainsi le Genevois à son arrogance – un reflet plus ou moins adapté du parisianisme – et à son accent ; ah, cette prononciation du bout du lac, pesante et traînante, comme encore stupéfaite par l’effet du tsunami qui dévasta la cité au sixième siècle ! Genève compte aussi parmi ces villes où il est difficile de se perdre. Même le plus étourdi des touristes, dérouté par son guide, finira vite par retrouver le chemin de son hôtel ; si le lac est un aimant, il est également le plus confortable des repères.

La cathédrale Saint-Pierre, quant à elle, bien que de plus en plus reléguée à la seule condition de patrimoine culturel, soit une citation dans les discours officiels, un paragraphe dans les manuels scolaires, un objet d’étude pour les universitaires et une étape pour les tour-opérateurs, constitue encore et toujours un véritable pilier du canton. Organe discret, ce cœur civilisationnel, s’acharne à maintenir la vie. Lieu complexe où se mêlent biologie et conscience, amour et violence, ignorance et savoir, ambition et désespoir… Bien plus labyrinthe que carrefour, la cathédrale Saint-Pierre rassemble ici tout ce qui fait sens, tout ce qui a fait sens et tout ce qui fera sens. À celui qui choisit la vitesse, il ne sera pas aisé de s’y intéresser. La vitesse ne requiert ni expérience ni pensée ; le conditionnement suffit. Mais pour celui qui s’adonne à la réflexivité, la cathédrale Saint-Pierre ouvre le grand recueil des narrations. Savoir ralentir, aimer se perdre, ressentir… Il est de toute façon nécessaire d’être bien quelque part.

G.Z. 

 

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